Et l’intérieur autonome fut

Actualités - 13 sept. 2022

Dans le beau livre Décoration, les plus beaux intérieurs du monde publié chez Phaidon figure un texte instructif de Graeme Brooker qui explique les raisons de la naissance de l’espace intérieur comme cadre de vie, objet d’étude pour sa conception et générateur d’une filière professionnelle dédiée. Voici quelques extraits instructifs.  

« L’émergence d’un espace appelé « intérieur » est, selon Charles Rice, un phénomène propre au xixe siècle. Cet espace a peu à peu cessé d’être conçu en relation avec l’enveloppe le contenant. Le fait de donner un nom à cet espace n’a pas seulement eu pour effet de poser les fondements d’une profession spécialisée dans l’aménagement intérieur ; il a permis à l’espace de devenir autonome, de ne plus dépendre de la structure architecturale. Ce phénomène a engendré la séparation entre le contenant et le contenu.

Le Crystal Palace, construit dans Hyde Park pour l’Exposition universelle de Londres en 1851, en est un parfait exemple. (...) Mesurant 563 sur 138 mètres (...) ce « palais de cristal » illustrait la différenciation de l’intérieur et de l’extérieur grâce à une « carapace » laissant deviner l’intérieur. (...) Dans cet écrin, l’intérieur devenait plus qu’un espace à part entière : il symbolisait l’émergence d’une intériorité nouvelle, qui était capable d’englober intégralement l’espace extérieur.

L’évolution de l’intérieur autonome, comme celle de l’intérieur unifié, n’est pas linéaire (...). Quand John Soane réagença les trois maisons (...) à Londres pour en faire sa demeure familiale, il en fit le réceptacle de sa vie, de ses souvenirs, de ses objets (...). À partir de 1811, ses collections prirent de l’ampleur. (...) L’intérieur de la maison était envahi par les objets rapportés (...) de ses voyages. Les murs et les plafonds étaient ornés d’un grand nombre de miroirs de tailles et de formes diverses (...) qui donnaient un effet d’espace infini et soulignaient la passion du collectionneur en démultipliant les objets rassemblés.

Le concept de Gesamtkunstwerk symbolisa la volonté des créateurs modernes d’unifier intérieur et extérieur, mais les architectes et les designers contemporains n’ont pas négligé pour autant la transformation de bâtiments existants en lieux d’habitation. L’intérieur de l’appartement de Charles de Beistegui à Paris avait été conçu par Le Corbusier en 1929. Lassé de la froideur de la « machine à habiter » de l’architecte, le jeune aristocrate fit appel au décorateur Emilio Terry, réputé pour son style combinant motifs classiques et baroques, exactement à l’opposé des sobres murs blancs de Le Corbusier. Il fit ainsi installer des parois commandées électroniquement, un lustre escamotable dans le plafond, ainsi que des haies transportables sur la terrasse. (...)

Au cours du siècle dernier, l’intérieur est devenu un espace fluide où sont disposés différents objets manufacturés formant des ensembles n’ayant aucun lien avec la structure architecturale. (...) L’émergence de l’idée d’espace autonome crée également une alternative aux démolitions et aux constructions intempestives, qui va dans le sens du développement durable : des entrepôts délaissés devenus inutiles sont ainsi transformés en lofts. » Les multiples manières de créer un espace intérieur, qu’il soit unifié ou autonome, montrent que l’histoire de ce dernier est toujours liée au rapport entre la pièce elle-même et l’espace qui l’abrite. (...) La popularité actuelle des décorateurs d’intérieur et des designers professionnels, devenus indispensables et dont la tâche consiste à inventer de nouvelles façons de bien vivre chez soi, s’en trouve ainsi justifiée. »

Visuels :

En haut à droite : Lorenzo Castillo, Résidence Santiago Castillo, pour Santiago Castillo, salon, Madrid, Espagne, réalisation 2010. Crédit photographique : Manolo Yllera

Ci-dessus : Dimore Studio, Duplex à Saint-Germain-des-Prés (pour un propriétaire anonyme), salon, Saint-Germain-des-Prés, Paris, France, réalisation vers 2015. Crédit photographique : Mai Linh 

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