Le décorateur ou l'interprète de nos intérieurs…

Actualités - 08 déc. 2017

Le décorateur ou l’interprète de nos intérieurs…

Telle est l’analogie faite par Maud Rousset, décoratrice d’intérieur à Paris. Entrer dans la sphère intime des gens est, selon elle, la clé d’un projet réussi, tout comme discerner un goût personnel d’un besoin de coller aux tendances des magazines. Deux points incontournables à l’heure de « l’ubérisation » de l’agencement d’intérieur…

 

Culture Agencement : Selon vous, qu'est-ce qu'une décoration d'intérieur réussie ?

Maud Rousset : « Une décoration d’intérieur réussie présente une harmonie esthétique évidemment, mais reflète surtout la personnalité des habitants. D’ailleurs, les clients contents prononcent souvent des phrases révélatrices comme « vous avez su nous comprendre ». Bref, une décoration d’intérieur réussie, c’est une alchimie entre les matériaux, l’ambiance et le mobilier, c’est créer le lien entre la personnalité des occupants et leur environnement quotidien.

 

Culture Agencement : En décoration d’intérieur, quelles sont les principales contraintes ?

Maud Rousset : On peut rencontrer des contraintes fonctionnelles : les lieux ne sont pas parfaits, il faut alors trouver des solutions techniques. On peut aussi rencontrer des contraintes budgétaires : elles sont souvent importantes car les clients n’ont pas forcément la notion du coût. Je suis là pour poser un regard professionnel et indiquer ce qui est ou non dans leur budget. En effet, c’est inutile de les « faire rêver » sur des réalisations qui leur sont inaccessibles financièrement. Enfin, on peut rencontrer des contraintes qui ne sont pas toujours visibles. Par exemple, certains clients ont pu voir des aménagements ou styles de décoration dans des magazines et ont l’impression que c’est ce qui leur correspond. Ils ont envie, en quelque sorte, de faire comme tout le monde. C’est ce que j’appelle la « fonction sociale » présente dans l’aménagement d’intérieur : les gens ont envie que leur intérieur ressemble aux magazines et que leurs invités leur disent que c’est joli... Mon rôle est aussi de faire le distinguo entre ce qui relève d’un désir né d’un besoin de reconnaissance sociale et ce qui relève d’une envie réelle.

  
Culture Agencement : Quelle approche privilégiez-vous dans la réalisation de vos projets pour les particuliers et pour les CHR ? Quelles sont les différentes phases de travail ?

Maud Rousset : Je privilégie une approche très personnalisée. Pour un projet de décoration chez un particulier, je cherche à comprendre sa façon de vivre. Pour un projet en CHR je me pose des questions : « comment est le menu ? », « quel est le type de clientèle ? » s’il s’agit d’un restaurant ; pour des bureaux : « quelle est la culture d’entreprise ? », « quelle image veut-on véhiculer auprès des salariés ? », « comment sont organisés les espaces de travail ? ». L’approche est similaire, mais les fonctionnalités diffèrent. Par exemple, dans un restaurant ou des bureaux, on rencontre des contraintes qu’on n’a pas chez le particulier, en termes d’acoustique, de normes d’hygiène ou d’accessibilité. Dans tous les cas, je commence toujours par apprendre à connaître le client, c’est primordial. Ensuite, j’entre dans les considérations budgétaires. J’aime aussi savoir pourquoi on fait appel à moi et c’est souvent pour les mêmes raisons : rationnaliser l’espace dans le cas de bureaux mais aussi offrir des conditions de travail optimales, insuffler un nouveau souffle à la décoration dans le cas des restaurants – une déco vieillotte a tendance à dégrader l’image d’un établissement auprès de la clientèle – et les particuliers recherchent, quant à eux, l’optimisation de l’espace et le sur-mesure. Bref, en tant que décorateur, on fait bien plus que des choix de couleurs, de matériaux ou de mobilier, on entre dans l’intimité des clients en habillant un lieu où ils vivent ou travaillent. Il faut donc bien les connaître. Si on n’arrive pas à les faire parler à faire en sorte qu’ils se livrent, on peut passer à côté d’un projet. Comme disait Coco Chanel : « un intérieur est une projection naturelle de l’âme », or c’est une maxime à laquelle je m’emploie de donner vie à travers chaque projet qui m’est confié.

 

Culture Agencement : La décoration d'intérieur et l’agencement se sont fortement démocratisés, notamment via les émissions télévisées. Comment percevez-vous cette tendance, tant la diversité de l’offre de décoration que l’image renvoyée au grand public ?

Maud Rousset : Cette démocratisation a eu un aspect positif : elle a permis de répondre à un vrai besoin de bien-être et d’éveiller les consciences. Les particuliers ont compris l’importance d’investir dans leur intérieur. Mais le revers, c’est de tout mélanger. Or, la décoration d’intérieur fait appel à des compétences et chaque métier dans l’aménagement d’intérieur est spécifique. J’essaie, pour ma part, de reconnaître mes limites ; il y a des compétences qui ne sont pas les miennes. Par exemple, je peux dessiner des plans de cuisine mais je les fais valider par un cuisiniste. De même, mes dessins de mobilier sont soumis à un menuisier. Je pense aussi que c’est mieux pour le client quand chaque acteur est clairement identifié. Par ailleurs, certaines émissions TV laissent croire qu’on peut réaliser un projet de décoration en 2 heures, que c’est facile et pu coûteux, or, cela participe à l’ubérisation des métiers de l’agencement. C’est un phénomène apparu récemment que je déplore. On le voit notamment à travers tous ces sites Internet qui proposent des forfaits à bas coût. Une planche d’ambiance, une vue 3D et une shopping-list pour 99 euros, c’est aberrant ! Ces dernières années j’ai vu le nombre de décorateurs et d’architectes d’intérieur multiplié par dix. Or, comme il n’y a pas de place pour tout le monde, certains en profitent et font travailler à moindre coût. C’est triste et malheureusement les particuliers ne voient pas forcément l’impact négatif qu’engendre cette popularisation massive. »

 

Propos recueillis par Vanessa Barbier

 

Son parcours :

Après presque 10 ans passés dans la banque et les assurances, Maud Rousset abandonne cet univers en 2013 et suit une formation en décoration d’intérieur. Elle lance rapidement son entreprise après quelques mois passés en agence d’architecture d’intérieur. Issue d’une famille d’artisans (un grand-père tapissier, une grand-mère brocanteuse), elle tient de sa mère habilleuse au théâtre le goût du décor, des matières et de la mise en scène. Installée à Paris, elle réalise des projets pour les professionnels comme les particuliers.

 

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