Le beau utile, secret du bonheur

Actualités - 07 juil. 2020

Le beau utile, secret du bonheur

Fondateur de l’agence homonyme de référence, Pierre-Yves Rochon est depuis 40 ans l’un des designers d’intérieur les plus influents de la planète pour l’hôtellerie et les résidences de luxe. Son parcours a été guidé par une philosophie méditative évinçant les vanités, dans les deux sens du terme. Rencontre.

Culture Agencement : Dans l’une des vidéos récentes vous présentant (lien à la fin de notre article), vous déclarez en guise d’introduction : « Chacun a besoin de luxe. Lorsque vous regardez des fleurs et que la beauté d’une rose vous saisit, vous faites l’expérience du luxe. Le luxe, ce n’est pas l’or, c’est la façon de vivre et la façon d’apprécier. » Cette définition est-elle le fruit de la maturité, ou a-t-elle accompagné tout votre parcours professionnel ? Et pouvez-vous la préciser ?  

Pierre-Yves Rochon : « J’ai débuté mon parcours il y a 50 ans, travaillant les 10 premières années pour un autre architecte d’intérieur(1), et j’ai toujours travaillé dans le domaine du luxe. Si passionnant puisse-t-il être, cet univers présente le risque de déconnecter ceux qui y œuvrent et qui y vivent de la vie de tous les jours, que j’appelle le vrai luxe. La période folle que nous avons vécue pendant le confinement a révélé à beaucoup de gens que de nombreuses choses n’ont aucun intérêt. Le luxe n’est pas ce que l’on dit trop souvent. Ce n’est pas de posséder une Ferrari, des lingots d’or ou d’autres biens matériels, mais d’avoir une qualité de vie nourrie par des émotions du quotidien, le plus souvent simples et inopinées. C’est ce que je ressens, par exemple, lorsque je passe devant un fleuriste en voyant un bouquet d’une dizaine de roses, ou en prenant le temps de regarder un ciel bleu dont la pureté suffit à elle-même. Le luxe, c’est ainsi de pouvoir maîtriser son temps pour pouvoir pleinement en profiter, sans être contraint de courir après les obligations professionnelles ou autres. Or, nous sommes tous pris dans un engrenage. J’ai, comme d’autres, été parfois accaparé par la gestion des prises de rendez-vous avec des dirigeants de firmes importantes qui exigeaient de me rencontrer rapidement, la nécessité impérieuse de gérer mon agence et son développement se faisant aux dépens du temps que nécessite tout travail créatif. Ma définition du luxe a donc toujours guidé mon parcours, mais avec l’âge j’ai appris à prendre du recul pour l’appliquer davantage. En effet, c’est en adoptant un regard à la fois relatif et authentique sur la vie que l’on apprécie davantage ses vraies richesses et que l’on comprend que la beauté est utile pour être heureux. Il est intéressant de constater à cet égard qu’un nombre croissant de gens se rendent aujourd’hui dans les musées, visitent les châteaux ou les parcs. Permettant d’échapper à l’overdose de choses vaines que nous impose la société d’hyperconsommation, cette prise de conscience avait commencé avant le confinement et on peut penser qu’elle se poursuivra.

Culture Agencement : Vous déclarez aussi que vous vouliez au départ être réalisateur de films de cinéma, afin de « mettre en scène la musique, les décors et les costumes ». Avez-vous réalisé cette ambition au travers du design et de l’architecture d’intérieur ? Et l’un des points fondamentaux entre ces deux métiers n’est-il pas de générer du rêve et de faire échapper du réel - ou de leur quotidien - pour une heure ou quelques jours les résidents et les spectateurs ?    

Pierre-Yves Rochon : Vous avez parfaitement résumé l’ambition commune à ces deux métiers. Je voulais effectivement être metteur en scène de cinéma, mais il fallait à l’époque avoir un baccalauréat de mathématiques, matière dans laquelle j’étais loin d’exceller. En exerçant mon métier d’architecte d’intérieur, j’ai fait en sorte de retrouver la même vocation d’ensemblier. C’est pourquoi en abordant chaque nouveau projet, je rédige un scénario inédit qui est le cahier des charges tenant compte du lieu de l’hôtel ou de l’habitat privé, de ses caractéristiques et de la façon dont les gens y vivront ensuite. Une fois achevé, l’architecture d’intérieur devient comme le décor des films de cinéma, c’est-à-dire l’environnement dans lequel les acteurs ou les résidents évoluent pour y vivre des histoires et des émotions. L’architecte d’intérieur et le metteur en scène doivent aussi être attentifs à la qualité de la lumière et de la musique qui sont diffusées, parce que leur rôle est déterminant pour instaurer une ambiance particulière participant activement à l’identité du lieu. On pourrait même pousser la vocation de l’architecture d’intérieur jusqu’au choix des uniformes qui, à l’instar des costumes des acteurs, doivent intégrer le personnel des hôtels dans une vaste cohérence de style et de couleur, mais aussi d’identité remarquable dans le cadre d’établissements atypiques tels que ceux honorant ou reflétant l’esprit d’une époque révolue. Le travail de mise en scène des architectes d’intérieur est ainsi d’optimiser en les combinant la fonctionnalité, l’ergonomie et l’esthétique des lieux dont ils ont la charge. »   

Propos recueillis par Jérome Alberola  

(1)   Michel Boyer (lire notre interview dans notre prochaine édition)

Des Beaux-Arts aux grandes distinctions

Le travail hors pair de Pierre-Yves Rochon lui a valu une reconnaissance mondiale et lui a permis de rejoindre le prestigieux « Platinum Circle » du magazine Hospitality Design. Il a aussi été nommé « Designer d’hôtels le plus influent » par l’Asia Pacific Hotel Design Association et « Designer de l’année » par le magazine Boutique Design. Lauréat également   de l’« Outstanding Contribution Award » aux European Hotel Design Awards, il continue de veiller sur la réalisation de projets de luxe vantés par Travel+Leisure, Condé Nast Traveler et Forbes. M. Rochon a étudié à l’École Supérieure des Beaux-Arts et Arts Appliqués de Toulouse dont il est sorti major de sa promotion.

Vidéo à visionner en cliquant sur le visuel ci-contre.

 

Visuels :

En haut : Hôtel Martinez à Cannes 

Au milieu : Four Seasons Megève

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