Un voyage dans l’avenir de nos espaces intérieurs

Actualités - 13 avril 2021

Dans tous les domaines, la science-fiction, de Jules Verne à Philip K. Dick, a imaginé ce que réservait l’avenir, parfois avec une justesse se confondant à la clairvoyance. Lauréat du Grand Prix de l’Imaginaire et d’autres distinctions, l’écrivain Laurent Genefort nous guide pour un voyage passionnant dans nos espaces intérieurs de demain.

Les voies d’évolution de l’habitat seront probablement plurielles. L’une d’entre elles sera générée par le développement de la technosphère qui sera caractérisé par la dématérialisation, l’identité numérique et l’interconnectivité croissantes. La science-fiction a bien anticipé cette orientation. Dans le fameux film Soleil vert réalisé en 1973 par Richard Fleischer et avec Charlton Heston dans le rôle principal, on voit pour la première fois une console vidéo dans un appartement. Or, ce détail est d’importance car il concrétise le concept d’un habitat domestique dans lequel les résidents jouent, fonction qu’il allait acquérir une décennie plus tard dans le monde réel. De manière plus précoce encore, des écrivains de science-fiction ont imaginé dès les années 50 l’intégration d’écrans d’ordinateur dans les maisons qui devenaient ainsi des lieux de travail, bien avant le développement massif du télétravail imposé par le confinement généralisé. Le livre qui développe le plus ce concept est Ora:cle de Kevin O’Donnell (1983) dans lequel les gens sont justement confinés dans leur  appartement ou maison. Une technologie nommée « transmateur » leur permet de tout recevoir à domicile, qu’il s’agisse de la nourriture ou des biens d’équipement. Ainsi a-t-il anticipé l’uberisation des services, Amazon et tout l’essor du e-commerce.

Il y a une quinzaine d’années, j’ai fait partie d’un collectif travaillant avec le cabinet d’architecture R&Sie pour une exposition au centre Pompidou à Paris, sur le thème de la ville du futur comme expérience humaine. Nous avions alors imaginé une ville qui s’auto-bâtissait ou se nécrosait en fonction de l’humeur de ses habitants. S’ils étaient heureux, elle construisait de grandes tours à la façon des édifices de Gaudi ; en revanche, s’ils étaient tristes, déprimés ou stressés, les immeubles se dégradaient ou s’effondraient. On peut imaginer qu’un mécanisme identique s’appliquera à l’intérieur de l’habitat domestique, par le biais des objets hyperconnectés qui décèleront l’humeur ou l’état de santé des habitants pour y apporter une réponse d’usage adaptée. Cette plasticité ferait de l’habitat lui-même et de ses divers composants des organismes quasi vivants. Par exemple, si une personne passe beaucoup de temps dans son bureau, la maison va adapter d’elle-même la configuration de cette pièce et ses équipements (mobilier, informatique) pour y créer un confort optimal. 

De manière toujours plus ancienne, Robert Heinlein, grand auteur américain de science-fiction a écrit en 1941 une nouvelle intitulée « La maison biscornue » (cf. résumé en note infrapaginale) et qui, par le jeu d’une construction géométrique singulière, développe le concept d’un espace intérieur plus grand que celui de l’extérieur. Heinlein y a aussi inventé des fonctions invisibles de nature informationnelle, telles qu’on commence à en doter des logements dans le monde réel d’aujourd’hui. Notre habitat est en effet devenu le point de convergence de technologies non spécifiquement liées à la maison, mais s’appliquent aux services de ses occupants. De la même manière qu’il existe déjà des montres connectées permettant de mesurer la pression sanguine, la température, le rythme cardiaque, etc. et qu’au Japon, les toilettes analysent déjà l’état de santé des gens, on peut imaginer que ces divers systèmes se développeront et se sophistiqueront à l’avenir dans l’ensemble de la maison, permettant d’y faire des diagnostics précis, détecter une maladie, voire de combler certaines carences en contrôlant voire modifiant la qualité de l’eau ou de l’éclairage, en commandant automatiquement une alimentation et des médicaments appropriés, ou en prodiguant des séances de soins (massages, etc.) à domicile.

Chaque médaille a son revers et les progrès apportés par les objets connectés du quotidien pourront aussi générer des problèmes nouveaux liés à l’informatique, tels que bugs, hacking, rançongiciels, etc. On peut aussi imaginer que les objets connectés se rebelleront. Dans une de ses fameuses nouvelles, Philip K. Dick raconte l’histoire d’un homme qui rentre chez lui  fatigué après une dure journée de travail et refuse de mettre un cent pour ouvrir la porte de son domicile comme lui demande la serrure. Lorsqu’il commence de démonter cette dernière, elle le menace de l’attaquer en justice ! Ainsi, peut-être certains des services délivrés par les équipements de la maison seront-ils bridés, voire arrêtés si ses habitants contreviennent à certaines règles ou s’ils n’ont pas payé leurs factures. Chaque nouvelle fonction apportée dans et par l’habitat domestique sera aussi source potentielle de nouveau problème.

En conclusion, qu’il s’agisse de la maison ou d’autres sujets, si la science-fiction est le genre littéraire le plus efficace pour faire rêver d’avenir meilleur, il est aussi très puissant et souvent clairvoyant pour annoncer les dérives sinistres de notre monde. 

Laurent Genefort

Bio express :  Né en 1968, Laurent Genefort est l'un des plus grands auteurs français de science-fiction et de Fantasy, avec pas moins de 60 romans et de nombreuses nouvelles. Il a notamment obtenu trois fois le Grand Prix de l’Imaginaire et deux fois le prix Rosny Ainé. Il a également collaboré à différents projets cinématographiques. Laurent Genefort est aussi régulièrement consulté pour des études de prospectives.  

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Note : La « maison biscornue » a la forme de patron de tesseract, c’est-à-dire en forme de tesseract développé, afin d’économiser sur le terrain, étant construite sur base de huit cubes (chacun étant une pièce). A la suite d’un séisme, la maison s’effondre sur elle-même et le patron se replie en un seul cube, se transformant en véritable tesseract ayant quatre dimensions spatiales. Se rendant sur les lieux, les protagonistes croient d’abord à un vol audacieux de l’ouvrage immobilier, mais après avoir pénétré dans le cube, ils s’aperçoivent non seulement que l’ensemble des cubes est disponible à l’intérieur de ce cube unique, mais encore que l’espace semble avoir subi d’étranges déformations : l’escalier du cube supérieur mène au rez-de-chaussée, ils s’aperçoivent eux-mêmes dans une autre pièce à un certain moment, et pire, les portes semblent ne plus mener dehors, mais uniquement dans d’autres pièces, tandis que les fenêtres donnent sur des paysages étranges. L’idée d’un logement s’étendant dans une quatrième dimension spatiale a également été développée en 1957 par Clifford D. Simak dans Copie carbone. J.A

Photo en haut à droite : Vue du film Blade Runner (1982). Réalisé par Ridley Scott, ce chef d’œuvre fait l’objet d’un culte chez les amateurs de science-fiction pour son histoire inspirée d’un livre de Philip K. Dick, écrivain de référence du genre, et son atmosphère extrêmement forte. L'appartement dans lequel réside le protagoniste Rick Deckard participe à l’instauration de cet univers. Fortement influencé par la maison Ennis, située à Los Angeles, conçue en 1924 par le fameux architecte américain Frank Lloyd Wright, le design des blocs texturés à motifs à partir desquels la maison est construite a été emprunté par Charles William Breen qui a conçu l'intérieur de l'appartement à partir d'un concept de Syd Mead (1933-2019) designer industriel et concepteur néofuturiste américain.

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