« Le public se trompe rarement sur l’usage abusif du mot design »

Actualités - 30 janv. 2024

Fondatrice du magazine de référence Intramuros en 1985, découvreuse réputée de designers en herbe devenus de grandes signatures, Chantal Hamaide a été la papesse médiatique du design en France et au-delà, de nombreux créatifs lui devant beaucoup. Actrice et mémoire vive de son développement, elle reste l’une des voix les plus écoutées des professionnels et observateurs du secteur. Rencontre.

Archi-Cultures : Quels ont été selon vous les secteurs de biens de consommation dans lesquels le design a le plus évolué au cours des 30 dernières années ? 

Chantal Hamaide : « Les biens de consommation qui intègrent des mécanismes ont subi de réelles modifications esthétiques. Dans le secteur de la communication, du déplacement, de l’agencement, des téléphones, des ordinateurs, de l’automobile, des éclairages, le design a évolué en fonction des performances techniques, avec le sans-fil, les batteries, etc. marqués par une optimisation de la relation esthétique et d’usage.

Archi-Cultures : Quels ont été les principaux facteurs dévolution du design depuis 30 ans ? Et quelles ont été les étapes ou évolutions les plus remarquables du design dans l’habitat ? 

Chantal Hamaide : Des objets et des services nouveaux ont dû répondre à l’évolution des facteurs sociétaux. L’un des plus significatifs est le travail à distance qui a bouleversé les concepts du cadre de travail et de l’aménagement de l’espace domestique. Les designers ont travaillé sur des réflexions autour de la mobilité et de la légèreté. La similitude des besoins entre le public et le privé a permis de développer des collections de mobilier moins caricaturales, adaptées aux deux univers. Dans un contexte hyper connecté et nomade, le besoin de confort et d’expériences sensorielles a permis d’innover en termes de matériaux et de solutions de confort.

Archi-Cultures : Question récurrente depuis trois décennies : le design est-il la tarte à la crème du marketing, autrement dit un argument galvaudé et vidé de sens à force d’être prononcé?     

Chantal Hamaide : Le terme design est sans doute un peu galvaudé mais signifiant de l’association création/innovation. Ses domaines d’application sont tellement larges, de la brosse à dents signée Philippe Starck pour Fluocaril à l’aménagement du TGV signé Roger Tallon, de la petite série au projet industriel, que le marketing de certaines entreprises joue de l’appellation pour se mettre en valeur. Le public s’y trompe toutefois rarement.

Archi-Cultures : Dans l’univers de l’ameublement, les designers, dont les plus célèbres Scandinaves, Français et Italiens depuis un siècle, se sont surtout intéressés aux sièges, de la chaise au canapé en passant par le fauteuil. Pour quelles raisons, selon vous ? 

Chantal Hamaide : Le siège est un repère essentiel dans notre usage quotidien que ce soit  dans le contexte individuel, en groupe, à la maison, au bureau, au repos, au travail. Les performances industrielles , les nouveaux  matériaux, invitent les designers à expérimenter à une moindre échelle le rapport forme/fonction.

Archi-Cultures : À l’inverse, la cuisine intégrée, dont les industriels sont les plus gros du monde de l’ameublement, est un territoire peu exploré, à l’exception de quelques designers italiens (Pininfarina pour Snaidero). De fait, en  2014, le duo de designers français Sismo soulignait sur notre site d’information (lien d’interview en fin d’article) que « la cuisine équipée est pauvre en design, notamment en raison de la standardisation de ce bien d’équipement qui s’est considérablement démocratisé depuis 30 ans. » Partagez-vous ce constat ? 

Chantal Hamaide : Dans le contexte de l’habitat, l’évolution des comportements a modifié les typologies de la vie domestique. La cuisine est au cœur de ces mutations. Son implantation, le mobilier, les matériaux, les objets d’usages, offrent une lecture personnalisable. J’ai constaté que les entreprises font aujourd’hui appel à des designers pour contextualiser ce changement. Les fabricants ont compris ce besoin de modularité et le goût de leurs clients sensibles aux savoir-faire. Les collections s’adaptent au sur mesure et innovent sur les finitions. Les designers, Marc Sadler et Piero Lissoni chez Boffi, les créations de Dada/Molteni, l’atelier Bulthaup, Alpes Inox, et tout récemment la marque Reform, engagent une vraie réflexion. Les designers internationaux, Cécilie Manz, Jean Nouvel, Barke Ingels Group, Inga Sempé, etc. sont appelés sur le marché de la cuisine. Dans  la grande distribution, la marque Ikea avait anticipé l’enthousiasme du consommateur à agencer ses propres concepts à partir de modules à assembler, dessinés par les designers maison.

Archi-Cultures : Enfin, l’architecture d’intérieur est parfois appelée design d’intérieur. Que pensez-vous de cette terminologie qui pourrait être comprise comme l’association ou la combinaison des objets et de leur environnement , mais qui pourrait aussi être taxée de dévoyer le sens du mot design ? 

Chantal Hamaide : Les terminologies architecture d’intérieur ou design d’intérieur cohabitent assez couramment, Tantôt l’intervention sur l’espace fait appel à un architecte d’intérieur, tantôt le designer peut élargir sa compétence de l’objet à l’espace. Même au niveau des formations (écoles, etc.), les limites ne sont pas encadrées. On imagine des compétences possibles à différentes d’échelles. »

Propos recueillis par Jérôme Alberola   

Culture Cuisine : Sismo, la cuisine équipée est pauvre en design

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