Du bon français d'un mot anglais trop usité

Actualités - 25 mai 2018

 

Du bon français d’un mot anglais trop usité

(check the meaning)

Le paradoxe du design est remarquable : alors que les livres à son sujet sont nombreux, son substantif le… désignant est entré dans une langue tellement courante qu’elle dérape régulièrement pour perdre en embardées la substantifique moelle de son sens véritable. Correction pratique et conclusion philosophique.   

 

Le fait est répété à l’envi par les médias se décrétant tendance, surfant dessus ou se plaçant réellement aux avant-postes des évolutions : le design joue un rôle essentiel dans la conception de mobiliers et d’agencements sur mesure visant à répondre aux besoins spécifiques des résidents d’un logement. Car - et il faut aussi malheureusement le répéter sans relâche pour tenter de contrer les déformations sémantiques d’une perfide traduction (« traduttrore, traditore (1) », selon la paronomase des Italiens, fameux pour leur sens du… design) - : le design d’un produit n’est pas son esthétique, mais le dessein (« design » en anglais) ou projet d’utiliser intentionnellement la forme d’un objet (de la brosse à dents à la carrosserie de voiture, voire la carlingue d’avion de ligne) pour favoriser sa fonction. Il a aussi pour vocation de la mettre au service de l’ergonomie, pour le bien-être des utilisateurs d’objets et des usagers de lieux.   

 

Ainsi, pour le Larousse, le design est à la fois la « discipline visant à une harmonisation de l’environnement humain, depuis la conception des objets usuels jusqu’à l’urbanisme » et « l’ensemble d’objets créés selon l’optique de cette discipline ». L’Association française des designers en donne une définition plus complète et complexe, témoignant de ses contours larges : « Le design est un processus intellectuel créatif, pluridisciplinaire et humaniste, dont le but est de traiter et d’apporter des solutions aux problématiques de tous les jours, petites et grandes, liées aux enjeux économiques, sociaux et environnementaux. Potentiellement présent partout, en adéquation avec les modes de vie, les valeurs et les besoins des êtres humains, utilisateurs ou publics, le design contribue à la création d’espaces, à la communication de messages visuels et sonores, d’interfaces, à la production de produits et de services, afin de leur donner un sens, une émotion et une identité, d’en améliorer l’accessibilité ou l’expérience. Cette activité utilise les compétences et l’expérience du designer, faites d’observation, d’analyse, d’écoute et de technique. L’inconnu, inhérent au commencement de tout projet, est précisément ce qui excite le cerveau du designer et qui le rend capable de rechercher des réponses originales. Le design, lorsqu’il est présent dès la phase de réflexion, permet donc aux entreprises et aux collectivités d’être source d’innovation et de progrès. »

 

La traduction juste du mot anglais design est stylique, aussi classieuse que malheureusement rarement employée. Le design n’est donc pas synonyme d’esthétique (et surtout pas d’esthétisme, qui a un autre sens, souvent péjoratif de surcroît !), même si celle-ci en fait souvent partie. Il est donc erroné de s’extasier devant « le design » d’un canapé ou de se pâmer devant « le design » d’un réfrigérateur simplement parce qu’on apprécie les courbes du premier ou les lignes colorés du second. Oserait-on aimer « le design » d’une femme gironde ?

 

De même, parce qu’ils font œuvre utilitaire et doivent répondre à un cahier des charges de fabrication (coût, matériaux, production en série, etc.), les designers ne sont pas des artistes (2), bien plus libres dans leurs élans créatifs. Ce qui n’empêche pas certains objets de notre quotidien, mais aussi certains logos de marques, d’être de véritables réussites d’équilibre voire de grâce formelle. Notons enfin que la philosophie a théorisé la différence entre l’esthétique et le design, ceci bien avant que ce dernier existe dans son sens et son industrie modernes. Ainsi, Emmanuel Kant, l’un des plus fameux penseurs de l’ère moderne, arguait-il que, par essence, « le beau doit être inutile. » 

 

Jérôme Alberola

 (1) Traducteur, traitre » dans la langue de Molière et de Philippe Starck  

(2) Rappelons que Lynyrd Skynyrd auxquels le visuel et le titre de cet article font référence, ne sont pas designers…     

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