La cuisine équipée est un produit pauvre en design !

Actualités - 17 juin 2016

La cuisine équipée est un produit pauvre en design !   

Uniformisée et trop focalisée sur la fonctionnalité et l’ergonomie, elle a perdu une part de son âme liée à l’hédonisme du gustatif et du partage culinaire. Son caractère normatif dissuade les designers de s‘y impliquer. C’est ce que déclare,  entre autres réflexions à méditer, Antoine Fenoglio, moitié du duo Sismo, l’une des agences françaises de design les plus cotées.

 

Culture Agencement : Quel est votre regard sur le design de la cuisine intégrée telle qu’elle existe aujourd’hui ?

Antoine Fenoglio : « Il s’est produit une problématique d’hyper standardisation générée notamment par le succès rapide d’Ikea qui a popularisé la cuisine intégrée en France au cours des 15 dernières années. En devenant le premier vendeur du marché français, l’enseigne suédoise y a imposé une norme esthétique, mais aussi un effet de halo par sa communication massive laissant croire au grand public que ses modèles font l’objet d’une créativité poussée. En réalité, l’offre d’Ikea, comme celle d’autres gros acteurs du marché, n’est pas très audacieuse en termes de design, même s’il est vrai qu’elle est bien pensée pour s’intégrer dans l’habitat pour un coût avantageux. De fait, je pense que les fabricants européens ont aujourd’hui un regard figé sur la cuisine, dont l’essence, tenant à la fois du fonctionnel et de la représentation, ne laisse pas beaucoup de marge de manœuvre pour proposer des formes nouvelles.

 

Culture Agencement : Pensez-vous que l’offre de cuisine était plus stimulante il y a quinze ou vingt ans ?

Antoine Fenoglio : Oui, car l’offre des industriels présentait davantage de diversité esthétique motivée, notamment en amont, par des propositions plus variées émises par leurs fournisseurs de panneaux et de façades décors. Pour les mêmes raisons de développement économique permis par la production en grande série qui diminue les coûts, eux aussi ont en effet subi cette concentration des idées qui a conduit à l’uniformisation. A titre d’exemple, chez Sismo, nous avons senti ce mouvement s’amorcer il y a une dizaine d’années lorsque nous avons travaillé avec un très gros fabricant de panneaux italien qui concevait ses produits à destination de marque de cuisines haut de gamme mais aussi  d’Ikea. De manière plus générale, cette standardisation a fait naitre une certaine confusion dans l’esprit des consommateurs entre les divers segments du marché, les marques ayant souvent tendance à se surclasser en termes de niveau de gamme.

 

Culture Agencement : Comment la cuisine devrait-elle être conçue ?

Antoine Fenoglio : Avant tout, il faut revenir à un pragmatisme de bon sens et partir du principe que l’acheteur de cuisine n’est pas un consommateur de bien d’équipement quel qu’il soit, mais un mangeur. Ainsi, on changera considérablement l’approche du produit dans la gestion des espaces, des volumes et des fonctionnalités, ce qui libérera la créativité des concepteurs, qu’ils soient designers ou non. Jusqu’à présent, les ensembles de cuisine ont privilégié l’optimisation des espaces de rangements avec des aménagements intérieurs toujours plus sophistiqués pour y placer les ustensiles culinaires et les denrées, mais aussi pour y avoir toujours plus facilement accès. Or, une cuisine ne doit pas servir à stocker des ustensiles et des aliments, mais à dégager les espaces permettant de les utiliser au mieux. Je pense que le règne actuel de la cuisine laboratoire, qui se caractérise par la dissimulation toujours plus complète des instruments de cuisine dans des ensembles toujours plus lisses et intégrés, a sacrifié la notion de cuisine d’usage, qui pourrait très bien laisser apparents ces aliments et ustensiles dans des ensembles déstructurés. On pourrait même estimer que les cuisines sont aujourd’hui devenues trop rationnellement conçues, au point de devenir austère et de manquer de générosité, qualité qui est pourtant consubstantielle de cette pièce de vie dans l’habitat.  De fait, comment peut-on être généreux lorsqu’on cache les objets du plaisir qui sont censés faire notre usage et notre identité ?

 

Culture Agencement : Pourquoi si peu de designers s’y impliquent-ils en France ?           

Antoine Fenoglio : C’est parce que la cuisine intégrée est perçue par les designers comme un produit pauvre. L’excès de standardisation condamne en effet à ne réfléchir et travailler que sur les décors des façades, alors que les designers s’intéressent avant tout à développer des créations offrant de nouveaux usages par la mise en œuvre de lignes et de volumes inédits. Il faut donc que la cuisine retrouve sa convivialité naturelle sous peine de perdre son âme. Tous les domaines d’activité qui se sont trop standardisés ont rejeté l’humain et par voie de conséquence la créativité qui le caractérise. »

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La cuisine équipée est un produit pauvre en design !

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