« Ç’a été le rêve de toute ma vie de peindre des murs », confiait Degas. Le grand artiste n’était pas le seul à vouloir participer aux nombreux chantiers décoratifs de la fin du XIXe siècle. Manet et les impressionnistes ont ainsi réalisé, tout au long de leurs carrières, des peintures et des objets décoratifs. Une superbe exposition au musée de l’Orangerie à Paris invite à considérer la notion de décoration domestique sous un regard nouveau, né de l’ancien et lui apportant les lettres de noblesse.
Si les impressionnistes ont révolutionné la peinture, gagnant la postérité par leur génie créatif et leur approche de l’art donnant le primat au sensible (à la sensation précisément), ces géants des toiles et des musées ont aussi expérimenté de nombreuses techniques en redéfinissant à leur manière l’idée même de « décoratif », notion paradoxale, à la fois positive et dépréciative, au cœur de la pratique artistique, de la réflexion esthétique et sociale à la fin du XIXe siècle. Cet aspect de l’impressionnisme est peu connu aujourd’hui. Pourtant, le cycle des Nymphéas de l’Orangerie, que Monet nommait ses « grandes décorations », vient couronner plus de soixante années d’incursions dans ce domaine. Et si les tableaux exposés par les impressionnistes ont choqué, c’est aussi parce qu’ils étaient vu telles de simples décorations, dénuées de signification et vouées au seul plaisir des sens. Un critique n’a-t-il pas écrit en 1874 que ce que Monet peignait s’apparentait à un « papier peint » ?
L’exposition organisée actuellement par le musée de l’Orangerie invite donc, pour la première fois, à explorer une autre histoire de l’impressionnisme avec des œuvres de Cassatt, Cézanne, Degas, Manet, Monet, Morisot, Pissarro et Renoir, pour certaines rarement ou jamais présentées en France. Elle montre comment, à travers quelque quatre-vingt peintures, éventails, céramiques ou dessins, les impressionnistes ont tracé un chemin nouveau, avec la conviction que, pour citer Auguste Renoir (1841-1919), l’art est fait avant tout pour « égayer les murs ». En cela faisait-il écho à Ralph Waldo Emerson (1803-1882), philosophe et poète américain. Le chef de file du mouvement transcendantaliste américain déclarait ainsi : « Une maison est faite de murs et de voûtes, un chez-soi est fait d’amour et de rêve. »
De fait, tout au long de leur carrière, les impressionnistes ont peint des décorations – œuvres de nature et de statut variés, visant à créer un effet harmonieux au sein d’un espace domestique. Commandes de clients ou expérimentations libres sur des formats et supports divers – du décor mural à l’éventail ou l’assiette –, ces œuvres démontrent l’intérêt soutenu des impressionnistes pour la décoration et leur inventivité dans ce domaine. Scènes de la vie moderne, paysages lumineux, jardins fleuris ou encore réinterprétations de modèles anciens, ces peintures et objets décoratifs invitent à enrichir et renouveler notre regard sur l’impressionnisme. Et à considérer la notion de décoration domestique sous un regard nouveau, né de l’ancien et lui apportant les lettres de noblesse d’une époque où la création de l’objet résulte encore « d’un cerveau et d’une main » et non « de la mécanique » comme le préconisait Renoir.
Jérôme Alberola
À découvrir jusqu’au 11 juillet 2022 au Musée de l'Orangerie, Jardin des Tuileries, place de la Concorde à Paris (Métro : Concorde).
Visuels :
En haut à droite : Camille Pissarro, L’Été, dit aussi Les Quatre Saisons : L’Été, 1872-1873 (collection particulière)
Ci-dessus : Camille Pissarro, Coteaux de Chaponval, éventail, vers 1882 - Paris, musée d’Orsay (legs Antonin Personnaz)
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