Vers la démocratisation totale de l'agencement ?

Actualités - 03 juin 2016

Vers la démocratisation totale de l’agencement ?

C’est ce que pourrait laisser croire l’implication flagrante de Leroy Merlin dans ce marché de l’habitat. Opportunisme provocateur ou au contraire vecteur de notoriété dont profiteront  architectes et agenceurs ? Eléments de réponse.

 

Spaceo Home. Le nom sonne comme celui d’un héros d’aventures spatiales pour enfants. Il s’adresse pourtant aux adultes, non ceux qui rêvent d’aller dans l’espace, mais d’en gagner chez eux. C’est à dire dans les différentes pièces de leur habitat, en y aménageant des dressings, bibliothèques, étagères et autres cloisons de séparation permettant de pourvoir précisément aux besoins de rangement. Rien de nouveau, direz-vous, sous le soleil des agenceurs qui répondent à la même vocation, depuis que leur métier a été inscrit à la chambre du même nom. Sauf que cette fois les utilisateurs de Spaceo sont des bricoleurs plus ou moins amateurs et qu’ils se rendent dans les magasins de Leroy Merlin, enseigne co-leader (avec Castorama) des grandes surfaces de bricolage, dont le succès populaire n’est plus à démontrer. On est loin du profil type des clients d’agenceurs, y compris des enseignes de dressing, type Agem, Archéa ou Ambiance Dressing (cf. nos articles consultables en archives), pour ne pas dire aux antipodes de ceux des architectes d’intérieur. Le lancement de Spaceo Home et l’édition de sa brochure dédiée de 16 pages engagent-ils alors une révolution du marché ?       

 

On se gardera de céder aux effets d’annonce sensationnelle, et encore moins à la panique pour les spécialistes et autres commerces indépendants de l’aménagement sur mesure qui craindraient l’arrivée d’un géant de la distribution venu imposer une impitoyable concurrence tarifaire sur leur zone de chalandise se transformant dès lors en Waterloo, morne plaine. Leroy Merlin ne va pas réduire à la portion congrue la part de marché des spécialistes sus cités, comme cette enseigne n’a pas diminué celle des cuisinistes malgré des rayons de cuisines équipées de plus en plus soignés, à mesure que leur offre suivait le mouvement général de hausse de qualité des modèles. On connait la raison la plus souvent avancée : les GSB sont leaders en salle de bains, parce que cet univers est proche du sanitaire et, dans l’esprit des consommateurs, il est associé à la fois à l’eau et à l’intimité (c’est aussi pour cela que les cuisinistes y sont peu performants, voire dissuadés par ses contraintes techniques et normatives). A l’inverse, la cuisine est proche du meuble comme de l’électroménager, et elle est associée au feu et à la convivialité.

 

Doit-on en conclure que l’enseigne de bricolage n’est pas légitime dans sa volonté de se développer sur le marché des solutions de rangement domestique ? L’orgueil est mauvais conseiller et on manquerait de lucidité à considérer comme chasse gardée la commercialisation d’une famille de produits qui s’est élargie depuis une décennie, voire plus, aux enseignes spécialisées en rangement ainsi qu’aux cuisinistes (pour ne citer qu’eux). En revanche, il ne faut pas confondre offre produits et prestations. La lecture de la brochure Spaceo révèle ainsi que ses ensembles de mobilier de rangement sont composés de caissons et façades de différentes dimensions certes, mais dont l’assemblage n’est pas présenté comme répondant à du sur mesure. La différence tient autant de la forme que du fond avec les agenceurs spécialistes affinant leurs interventions de pose jusqu’au millimètre dans les trois dimensions.

 

Doit-on alors minimiser l’impact de ce développement affiché en aménagement de gains de place dans l’habitat ? Non plus, car Leroy Merlin se donne les moyens de séduire les consommateurs, en éditant une brochure spécifique présentant de manière didactique et complète les différentes possibilités à réaliser soi-même ou l’aide d’artisans référencés. L’enseigne annonce aussi ses ambitions en plaçant quelques modèles d’expositions dans le sas d’entrée et de sortie des magasins, comme nous avons pu le constater dans celui d’Epagny en Haute-Savoie. 

 

Agenceurs, architectes d’intérieur et autre spécialistes doivent-ils enfin s’inquiéter de l’arrivée de cette offre alternative proposée à des prix leur échappant totalement ? Ce serait oublier qu’Ikea n’a pas généré la  baisse drastique du nombre de cuisinistes que les plus alarmistes prophétisaient au mitan des années 1990. Certes, comme partout ailleurs, l’enseigne suédoise est devenue leader de la cuisine équipée en France (nous ne ferons pas le même pronostic en rangement sur mesure pour Leroy Merlin), mais elle a aussi participé activement à sa démocratisation dans les esprits des consommateurs et des médias, ce qui a profité par rebond aux cuisinistes, leur rendant évidente la nécessité, pour se distinguer, de mettre en avant leurs compétences de spécialistes…         

 

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